ARNO STERN EST LE PREMIER PRATICIEN-SERVANT, UNE FONCTION QU'IL A INVENTEE ET QU'IL CONTINUE D'EXERCER DANS SON ATELIER: LE "CLOSLIEU" C'EST DANS CET ESPACE SINGULIER QU'IL FERA L'INCROYABLE DECOUVERTE DE LA FORMULATION
ORIGINE
Dès 1933, la montée du nazisme poussera sa famille à fuir l'Allemagne vers la France et subir la clandestinité, la fuite, le passage en Suisse et l’internement dans un camp de travail en automne 1942 jusqu'à la fin de la guerre.
Fin 1945, c’est donc indemne qu'il sort de l’enfance et l’adolescence. Il a 21 ans lorsque s’ouvre à lui un monde inexploré. Apatride, indésirable, dépouillé de tout, c’est ce vide qui déterminera tout son parcours. L'aventure du Jeu de Peindre débutera en 1946 lorsqu’il entre dans une institution pour orphelins de guerre, l’orphelinat Fontenay-aux-Roses. Il est chargé d’occuper les enfants entre les heures de classes et les repas, il les fait peindre et comprend immédiatement le rôle primordial du jeu qu’il provoque, jeu pour lequel il invente un aménagement original.
En 1951, il ouvre à Paris son atelier de peinture. Tout au début il le nomme « Centre d’art enfantin » Il pensait que la singularité de ce qu’il observait chez les enfants était une autre forme d’art, comme les arts classiques, naïfs, appliqués etc. et admettait encore qu’il pouvait s’agir d’un phénomène artistique. C’était une erreur.
Petit à petit, les nombreux tracés des enfants lui apparaissent comme récurrents et cohérents, comparables aux mécanismes d’un système linguistique. Dans un premier temps, il qualifia cette manifestation de «langage plastique» ce qui engendrait beaucoup de confusion car il pouvait observer que sa fonction n’était pas celle de communiquer.
D'autre part, la manifestation originale mais si structurée n’avait rien d’une œuvre. Les enfants n’étaient absolument pas demandeur d’expositions. Ils étaient juste dans le plaisir de faire. C’était comme si ils exprimaient une langue universelle fonctionnant avec sa propre grammaire et sans besoin de communication. Uniquement un besoin de création. C’est pour cette raison qu’il parlera ensuite « d’éducation créatrice ».
En 1952, Arno Stern déménagera son atelier et lui donnera le nom de "L'Académie du Jeudi". Il y reçoit des centaines d'enfants qui viennent peindre chaque semaine. Afin d’accueillir plus de monde, il place des panneaux devant les fenêtres. Un lieu clos est en train de naître, les peintures des enfants sont abritées de tout regard extérieur. C’est la naissance du « Closlieu » où il sera témoin d'une manifestation qui puise dans le fond de la personne et qui n’appelle aucun récepteur au contraire de l’art.
Les journalistes s’intéressent à cet engouement et à cet homme qui ne se définit pas comme professeur de peinture mais comme « servant » Lorsque ces journalistes lui posent sans cesse la même question: « mais si vous n’êtes pas professeur, à quoi servez-vous ? » Arno Stern leur répond simplement : Je n’enseigne pas, je n’interprète pas « Je sers. »
Il constate que les tableaux réalisés dans son atelier sont différents d'ailleurs (école, institution, maison). Dans son atelier apparaît une trace qui n'est pas destinée au regard d'autrui. Ailleurs, elle sert à communiquer, elle véhicule un message. Et en même temps, il remarque que les enfants jouent tous avec les mêmes figures, passent par les mêmes étapes; que l'évolution des figures humaines, animales, végétales, des maisons, etc. est comme qui dirait programmée.
De 1986 à 2005, l'atelier s'établira dans le 8ème arrondissement et se nommera définitivement le "Closlieu".
Depuis 2006, l'atelier fonctionne 61 rue Falguière (quartier Montparnasse).
VOYAGES
A ses observations et travail de recherche dans le Closlieu s'ajouteront ses expériences auprès de populations lointaines (son laboratoire d'excellence), dans la forêt vierge, le désert, la brousse, la haute montagne.
Il veut savoir si ce phénomène de l'expression est propre à notre société ou non. Il part alors à la rencontre de peuplades non scolarisées et ne pratiquant pas l'art. Il se rend au Pérou, en Nouvelle-Guinée, en Ethiopie et bien d'autres encore.
Ils les fait tracer, souvent pour la première fois de leur vie, et, il constate que ces personnes tracent spontanément les mêmes figures que celles observées dans son atelier à Paris. La formulation n'est donc pas déterminée par son environnement, sa culture, son éducation et toutes les peintures sont des exemplaires de Formulation pure et témoignent de son universalité !
FORMULATION
Au fil de ses recherches Arno Stern comprend que lorsque les personnes sont libérées de la pression extérieure, des jugements, du regard des autres... celles-ci peuvent retrouver leur spontanéité, être elles-mêmes ce qui leur permet de tracer ces figures issues du tréfond de l'être, il appelle cela : la Formulation.
La Formulation est un système cohérent, fonctionnant selon des lois qui lui sont propres et avec des composantes qui n'appartiennent qu'à elle.
Le petit enfant, vers 18 mois, quand il commence à tracer est déjà dans la Formulation, le Girouli (ou gribouilli dans notre jargon) est l'un des prémices de cette aventure.
Cependant, combien de personnes trouvent l'enfant incapable de tracer selon leurs attentes, les codes de l'éducation artistique ; elles le corrigent, lui font remarquer que ce qu'il trace n'est pas productif, n'est pas comme cela devrait être ou encore, elles applaudissent, elles s'émerveillent quand elles trouvent que l'enfant a bien fait.
Elles le jugent, elles exposent ses oeuvres, elles les comparent... l'intention de ces personnes part du coeur, elles pensent au bien de l'enfant, à son éducation, et pourtant l'enfant se bloque, il croit qu'il ne sait pas, il est perdu, il a perdu confiance en ses capacités !
Chacun a en lui les capacités de tracer selon sa seule personnalité, la pratique régulière du Jeu de Peindre peut permettre le réveil de ses potentialités. Et dans ce lieu clos, à l'abri des regards extérieurs, des enfants, des ados et des adultes viennent, chaque semaine, jouer au Jeu de Peindre et se régénérer.
La Formulation s'est révélée dans le Closlieu, ce lieu offre toutes les conditions nécessaires pour la production de traces et est à l'opposé d'autres lieux qui considèrent que tracer c'est dessiner, c'est-à-dire désigner, dialoguer avec un récepteur ou encore communiquer, délivrer un message.
Les conditions exceptionnelles du Closlieu, à l’opposé d’un atelier de peinture traditionnel, ont permis l’émergence de ce qu’Arno Stern a nommé: la Formulation :une manifestation complexe, originale, structurée et universelle. La Formulation n’est pas déterminée par une aptitude particulièrement développée chez une personne, ni propre à une certaine culture. Elle ne fait appel à aucun don. La nécessité dont elle émane et l’aptitude sont naturelles. Les figures qui la composent sont les mêmes quel que soit l’environnement de la personne qui les trace. Ainsi rien ne distingue la Formulation d’une personne vivant dans le désert, la forêt vierge, ou dans une ville occidentale.